Dans la boîte de nuit, carton fermé, odeurs calfeutrées. Comme le déserteur, il fume, sa cigarette au bec, chemise échancrée sur son torse imberbe. Un profil d'aigle, des angles abrupts, joues creuses, front escarpé visage ovale et brut, ses lèvres qui aspirent sans cesse sur cette cigarette, le regard détaché, souligné par des sourcils fins, seule courbe gracieuse sur ce visage. De taille moyenne, plutôt fin, biceps démesurés, calme d'une force contenue, son corps exprime une rare présence, mouvement Taylorien du bras mécanique pour apporter la cigarette à la bouche, renflement de l'équerre, jeté du bras, nonchalance certaine. Il attend, regarde sans poser son regard, les mouvements saccadés qu'offre la piste.
De suite, je le classe, (Important le classement !) moche, orgueilleux, trop silencieux. Aucun intérêt, étude de l'énergumène suivant, bellâtre en chasse, chemise noire satinée...
Par un quiproquo, je me retrouve dans le groupe du légionnaire, la fameuse copine ayant jeté son dévolu sur son acolyte à grandes dents et sourire enjôleur, caricature du Playboy Italien. Je me retrouve à faire la conversation, de fait, je continue le silence, et pour ponctuer, j'allume une Camel. Conversation de fond, de souffle, étude du visage, des improbables ridules, marques d'expression : il a de quoi dire, la musique évite le fiasco de notre échange, tout en mini touche, presque sourire, presque regard pour un regard, tout en demi espace, on se rapproche. Les convenances reviennent manière de ne pas faire tapisserie et autres meubles pour nos amis respectifs. Trop sec, pas pour moi, aucune conversation, trop fumeur. Sa main serre, sur mon avant-bras me surprend, brutale invitation à danser, il a capturé mon désir d'indépendance, je le suis sans contester, amusée et contrariée.
L’agonie du "The power of Love" qui démarre me plaque contre son torse. Mon cerveau évalue déjà le décompte des secondes, enferrée contre lui, je décide de me laisser aller à la volupté de la musique (passer, perdre le temps, un acquis chez moi). Sa main sur mes reins, par appuis successifs du bout de ses doigts me conte un autre désir. Effet des phéromones, langueur des mouvements, l'irascibilité de ma servilité alterne avec le plaisir des attouchements furtifs. Cette danse n'en finit pas, nouvelle discussion de nos pas, oui, non, je t'attire, tu me plais, l'échange devient plus intense, la distance s'amenuise imperceptiblement, de dizaine on ne laisse que quelques centimètres entre nous, sans de face à face, visage tourné de part et d'autre, nous ressentons les tensions du cou, inclinaison, respiration de nos effluves, silences, bouche fermée ou entrouverte, nos deux corps s'expriment à pleins poumons. Sa démonstration me convainc, je sais qu'il ne me lâchera pas tant que je ne lui aurai pas prouvé un rejet sans équivoque, il chasse effrontément or le doute m'assaillit, je ne peux faire taire mon corps qui a reconnu son désir, qui a envie de le stimuler encore, mon esprit qui veut jouer cette nouvelle joute.
Sa main remonte entre mes omoplates. Ces phalanges prolongent une discussion enflammée directement avec l’hypophyse. Un corps à corps primaire, je suis à l’écoute, de moi de lui, j’écoute ses paroles silencieuses, son état originel. Finalement, c’est étrange, c’est un bavard comme moi. Les messages passent et se succèdent malgré les décibels, je veux compléter ma réponse, tourne ma tête, pour que nos bouches viennent se saluer afin de clore ce bavardage.
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